L’ingénierie pédagogique boostée par l’apport des neurosciences

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Grâce aux multiples découvertes réalisées dans le champ des neurosciences, ce que nous comprenons des approches et méthodes pédagogiques renforce ou renouvelle notre manière de concevoir et de déployer les dispositifs de formation. Quels sont les piliers de l’ingénierie pédagogique du 21e siècle et comment les intégrer dans nos pratiques ?

Ingénierie pédagogique : partons du Comment apprendre pour ajuster le Comment former

D’hier à aujourd’hui, les ressorts de l’apprenance [1] ont peu changé. L’attention et la motivation en sont des vecteurs clés. Et si l’on a cru pouvoir éluder la mémorisation, c’est bien elle qui fait de l’information à portée de clic un savoir mobilisable dans son travail. Relier l’information à des connaissances préalables reste en effet crucial pour développer des savoirs faire et comportements. Deux évolutions sont néanmoins incontournables. Tout d’abord, la transférabilité des compétences en situation professionnelle devient une priorité. Alors que les durées de formation se réduisent, les apprenants sont en quête de méthodologie et d’outils immédiatement exploitables. Utilité et principe de sens constituent une condition sine qua non de chaque séquence de formation. Notons également la montée en puissance du Social Learning dans l’ingénierie pédagogique. Feedback, co-coaching, groupes de co-développement, communautés de pratiques, réseaux sociaux, forum ou chats, toutes les modalités qui alimentent la proposition du Pr Philippe Carré [2], sont mobilisables utilement : « On apprend toujours seul, mais jamais sans les autres. »  

 

Éclaircissons quelques neuromythes pour développer de meilleurs chemins d’apprentissage !

Des neuromythes ont longtemps influencé notre méthode de conception pédagogique. Les études du cerveau en train de travailler ou d’apprendre nous aident à confirmer ou invalider les intuitions ou principes sur lesquels nous nous appuyons pour concevoir des formations. Parmi les 10 mythes cités dans l’ouvrage de référence Neurolearning, les neurosciences au service de la formation [3], quatre doivent être balayés.

  • Tout se joue avant sept ans pour apprendre – FAUX car on apprend tout au long de sa vie, mais différemment, grâce à la neurogénèse. Les facteurs de motivation seront différents entre un jeune et un senior et le temps à consacrer.
  • Il existe trois styles d’apprentissage (visuel auditif et kinesthésique) – FAUX car plus l’ensemble de nos sens est impliqué dans l’apprenance, plus les chances de devenir un « serial learner » augmentent, chacun d’eux agissant en complément de notre canal préférentiel.
  • Les femmes et les jeunes sont multitâches – FAUX, le cerveau ne traite qu’une activité à la fois. Il peut le faire très rapidement s’il s’agit de tâches automatiques, mais successivement.
  • Le cerveau est inactif la nuit – FAUX car il classe et organise les informations emmagasinées dans la journée. D’où l’intérêt de bien dormir et d’avoir des temps de repos, comme le conseille le Dr Chantal Régnier dans son guide de méthodologie Réussir sa première année de médecine.

Connaître le fonctionnement cérébral va permettre d’adopter de meilleures stratégies d’apprentissage. Mais son bon fonctionnement dépend de celui de l’ensemble du corps ! En ingénierie pédagogique, cela nous pousse à favoriser la mobilité des apprenants en alternant les moments assis-debout ou en leur proposant des lieux inspirants.  

 

Faisons de l’attention des apprenants une alliée

L’organisation des sessions de formation professionnelle est souvent calquée sur celle des classes avec une récréation à 10h30, une pause-déjeuner, etc. Or, au bout de dix minutes [4], l’attention faiblit. Dès lors, pourquoi ne pas offrir davantage de pauses, plus courtes ? On utilise ainsi le mode de fonctionnement diffus du cerveau, qui peut produire des déclics ou des découvertes. Il s’agit également de structurer les parcours de formation et de donner du rythme pour relever le niveau d’attention, en créant des moments de surprise qui aideront d’ailleurs à fixer le souvenir. Le séquençage « partage / ressources / training » des parcours docendi – qui définit l’alternance [5] et aide à la scénarisation des activités pédagogiques – contribue au maintien de l’attention en alimentant le principe d’action :

  • le partage fait émerger ce que les participants savent déjà sur un sujet ou les questions qu’ils se posent ;
  • une méthodologie, une ressource, un outil leur sont transmis, souvent de façon interactive via des énigmes ou challenges ;
  • un training vise leur montée en compétence via des exercices, mises en situation ou réalisation de productions.

L’ingénierie pédagogique recourt beaucoup aux ruptures – de rythme, de ton -, à l’alternance des méthodes pédagogiques et des modalités d’apprentissage (travail seul, en binôme ou en trio, en équipe, en grand groupe). Physiologiquement conçu pour s’adapter à l’imprévu, notre cerveau réagit en effet à tous les changements de registre. Il s’agit également de développer la motivation en visant le flow. Le niveau de challenge proposé s’avère alors décisif.  Pour faciliter l’apprentissage, on croise le niveau de difficulté des activités pédagogiques au niveau de compétences identifié chez les apprenants. Si le challenge ne doit pas être trop élevé, une part de défi est nécessaire ; un apprenant qui « sait déjà » va s’ennuyer.

 

Sensations-émotions : recourons à ce puissant duo d’apprenance

L’impact des sensations et des émotions sur l’apprenance est confirmé par les neurosciences. De l’enfance à l’âge adulte, l’être humain est friand d’histoires. L’idéal pour les formateurs, devenus des experts du storytelling, serait de jouer sur le teasing comme le fait Netflix avec ses séries, en osant interrompre une séquence avant la fin pour que les apprenants n’attendent qu’une chose durant la pause : en savoir plus ! Les jeux constituent un autre outil clé. Proposer des quiz, des challenges, des énigmes, dope l’intérêt et relève le niveau d’attention. La dopamine sécrétée lorsque nous trouvons la solution d’une énigme explique la satisfaction et le bien-être ressentis. Le faire en équipe permet d’inclure tous les participants. Des émotions positives mais parfois négatives émergent, certains stagiaires s’avérant très déçus s’ils « perdent » … Bien que ces émotions négatives favorisent la mémorisation (par le souvenir du moment dérangeant vécu), ces apprenants devront être remobilisés par le formateur.  

 

Aidons les apprenants à utiliser leur mémoire à long terme

Disons-le haut et fort, personne n’a une mauvaise mémoire ! Le souvenir se crée en permanence ; la complexité tient dans le fait de retrouver l’information stockée. Deux leviers pour y parvenir :

  • structurer l’information pour l’inscrire dans la mémoire à long-terme – car la mémoire à court-terme ne peut stocker plus de 7 +/-2 items.

L’idée est d’organiser ces informations par morceaux (on parle du chunking) pour pouvoir retenir davantage d’éléments, en allant des « gros grains » aux plus petits. Ces blocs doivent faire sens pour l’apprenant, il peut être invité à les restructurer lui-même après la formation via un outil comme le mind mapping.

  • Répéter par espacement croissant – à J0, J1, J3, J7, J15 – pour renforcer la trace mémorielle.

Alors que des générations d’étudiants ont voulu mémoriser leurs cours en les surlignant, il est vivement conseillé de partir de la « page blanche ». D’où l’intérêt des réveils pédagogiques à pratiquer avec les apprenants, en leur posant des questions sur ce qui a été exploré dans la journée – sans qu’ils n’accèdent au support qui leur a été remis. Le lendemain matin, même procédé : on leur demande de faire un schéma et d’inscrire les mots clés dont ils se souviennent, pour participer au renforcement progressif de cette trace mémorielle.  

 

Optons pour une ingénierie pédagogique « agile »

A l’heure du digital, l’ingénierie pédagogique doit plus que jamais tenir compte des ressources humaines en présence et du moment. Si l’alternance des modalités pédagogiques et des outils (applis collaboratives, vidéos, modules d’e-learning…) est proposée par le concepteur, donner le choix aux  apprenants est un facteur clé de succès et de motivation intrinsèque. Ils peuvent préférer par exemple faire un travail avec papier crayon plutôt que dans un document partagé via le Drive de Google. Dans cette optique, la pratique de feedbacks rapides (portant sur ce que l’on apprend mais aussi comment on apprend) est indispensable tout au long de la formation : notre responsable de gamme Management, Thomas Flament, s’inspire ainsi des rétrospectives agiles pour proposer aux stagiaires d’écrire sur des post-it en fin de journée Pour demain, je veux plus de, autant de ou moins de. Cette « agilité » fait appel aux soft skills du formateur. L’écoute, la communication, la pédagogie, l’intelligence émotionnelle pour ->

  • simplifier et aider à la compréhension des apprenants, mais aussi percevoir les signes de lassitude ou de stress et proposer des pauses au bon moment ;
  • identifier les participants sur lesquels s’appuyer en leur donnant des rôles et éviter qu’ils ne se démotivent (digital, formalisation, notes collectives,…)
  • s’appuyer sur le groupe pour atteindre les objectifs dans une logique de coresponsabilité.

 

Si l’on souhaite aller encore plus loin via l’apport des neurosciences à l’ingénierie pédagogique, on développera pour chacun l’art d’apprendre, c’est-à-dire la capacité à « apprendre à apprendre ». L’idée est de doter les apprenants d’un bagage leur permettant d’optimiser leur capacité d’apprenance tout au long de leur vie professionnelle. Un potentiel qui pourrait devenir exponentiel, grâce à des formations construites au plus près de la réalité neurobiologique !  

[1] Le concept d’apprenance désigne l’acte d’apprendre, envisagé dans une dynamique de construction du savoir par les apprenants eux-mêmes.
[2] Professeur de Sciences de l’Education à l’université Paris Ouest – Nanterre La Défense, à l’origine du concept d’apprenance dans les années 2000.
[3] Neurolearning, Les neurosciences au service de la formation du Dr Nadia Medjad, Philippe Lacroix et Philippe Gil (tous deux cofondateurs du cabinet de conseil IL&DI, spécialiste du Digital Learning et de l’innovation en formation).
[4] Certains parlent de quinze voire vingt minutes.
[5] L’alternance est l’un des douze principes figurant dans l’ouvrage Ingénierie en formation d’adultes de Sandra Enlart Bellier (1999).
Tribune de Anne Ambrosini

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