Développement des compétences : le low touch learning, nouvel horizon post covid-19 ?

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En raison du confinement, de nombreux organismes de formation ont accéléré leur virage vers le distanciel, moyennant un important travail de réingénierie pédagogique. Dans les entreprises, les responsables formation ont « priorisé » les sessions à déployer au titre du plan de développement des compétences, en lien avec les managers. À l’heure de la sortie de crise, quelles modalités les acteurs de la formation doivent-ils définir pour répondre aux besoins d’upskilling ou de reskilling des collaborateurs – et des actifs en général ? Comment construire la « société de compétences » de demain ?

Pourquoi les acteurs du développement des compétences doivent absolument tirer les « leçons » de la crise

Depuis les premiers temps de l’être humain, les compétences sont au cœur des sociétés qu’il fonde. Définies par la recherche comme la capacité de combiner des ressources pour agir de manière performante dans une situation donnée, elles se nourrissent de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être – ou soft skills. En ce sens, la mobilisation des compétences contribue directement à la réalisation des missions confiées à un individu, à la réussite de son équipe ainsi qu’à celle de l’organisation. Le développement des compétences s’envisage donc en fonction du contexte dans lequel il s’inscrit – et de la nature des besoins que celui-ci induit. Sachant qu’il convient toujours de conjuguer des nécessités collectives et individuelles. Il ne peut être dissocié des modalités de formation existantes ni de l’accès à celle-ci. Il ne peut non plus être disjoint de la réalité professionnelle vécue par les apprenants, en termes de modes d’organisation du travail et d’interactions notamment. Or, lors du confinement, la massification du télétravail a bouleversé la manière de travailler. Les outils de visioconférence et de chat sont devenus « usuels », quand ils ne l’étaient pas auparavant. L’autonomie des collaborateurs a été pleinement sollicitée, ces derniers définissant leur organisation personnelle loin du collectif « physique » de travail, au sein d’un cadre général défini par l’organisation, ou non (horaires et planification des activités, temps de pause…). Pour Fabrice Mauléon, consultant-expert en Innovation et Digital, coauteur de l’ouvrage de référence Soft Skills [1], « ces nouveaux comportements ont vocation à perdurer. L’apprentissage à distance devrait se généraliser ». Ceci d’autant plus que, face à la brutalité de la crise sanitaire, la résistance au changement a explosé aussi bien en entreprise que dans le monde de la formation. « Le basculement vers le distanciel s’est parfois opéré en quelques jours seulement ! »  

Le low touch learning, nouveau fil rouge du développement des compétences ?

La plupart des acteurs de la formation professionnelle devraient faire pivoter leurs pratiques. Dans cette perspective, Fabrice Mauléon dessine le nouveau visage du développement des compétences via le concept de Low Touch Learning.

  • D’une part, « les situations de proximité physique sont appelées à se raréfier ; il ne s’agit pas d’aller vers le tout distanciel / tout digital, mais de véritablement questionner la valeur ajoutée du présentiel ». Cette pépite devra produire « un effet Koh-Lanta » – permettre de vivre une expérience marquante via l’intensité des émotions ressenties, la richesse des partages et expérimentations réalisées.
  • D’autre part, du point de vue financier, « la prudence risque de se traduire par des renégociations de budgets, des arbitrages en faveur du digital » – notamment lorsqu’il permet de réduire les coûts de formation.

La notion de précautions sanitaires reste en effet dans les esprits. Le déconfinement ne supprime pas la peur ! Comment s’assurer que la poignée de porte que l’on touche ait bien été nettoyée ? Que les personnes présentes dans la salle de formation respectent les gestes-barrières en dehors de celle-ci ? Si ces questions se révèlent sans objet en formation distancielle, celle-ci accroît le besoin d’accompagnement humain, de pédagogie, d’interactions. Cela peut prendre diverses formes, du coaching au tutorat ou au mentoring, avec une forte dimension de care. Dans cette optique, « les anciennes logiques de formation – de grands plans de transformation avec une population-type à emmener vers un objectif – seront sans doute obsolètes, indique Fabrice Mauléon. Nous entrons dans une gestion du développement des compétences au cas par cas, ou presque ». Il s’agira de toucher l’apprenant là où il se trouve, avec juste ce qu’il faut, quand il faut [2]. Une modalité telle que le micro-learning ou la diffusion de contenus de formation « cross chanels » (nourris de visuels, de vidéos, de réalité virtuelle) vont y concourir. Tout comme la possibilité d’accéder aux datas des apprenants via l’apprentissage en ligne, et de les traiter grâce à l’IA. Le tempo des parcours de formation devra aussi être revisité, le distanciel requérant davantage de formats courts, tout comme la nouvelle articulation vie pro-vie perso, avec des temps dédiés à la famille durant les journées de travail. En parallèle – et c’est là l’aspect le plus rude de la reconfiguration qui s’amorce -, de nouvelles populations vont devoir être reclassées [3]. Les organismes de formation devront repenser leurs offres avec comme mission essentielle d’aider chaque apprenant à trouver des ressources en lui-même et de l’accompagner dans le développement de ses soft skills. Celles-ci constituent le meilleur socle afin de se repositionner professionnellement ! La capacité d’apprendre à apprendre, notamment, sera décisive.  

Revoir certains aspects du financement actuel, réajuster les politiques de GPEC et la stratégie formation dans chaque entreprise

La loi Avenir professionnel a été élaborée dans un contexte de croissance, avant tout pour répondre aux besoins de renouvellement des compétences face aux mutations technologiques et à l’impératif de développement durable (transition écologique). Quant au système de formation préexistant, il s’est également construit en situation de croissance, malgré plusieurs crises ; la formation a alors subi des coups d’arrêt, temporaires. Or, comme l’a souligné Bertrand Martinot [4] lors du récent séminaire Politiques de l’emploi organisé par le ministère de l’Economie et des Finances et le ministère du Travail, « [le système actuel] se révèle assez inadapté au besoin de réallocation forte de main-d’œuvre » qui se profileQue faire ? Pour ce spécialiste, les financements de la formation doivent être en partie réorientés et les certifications professionnelles – de branches notamment – réévaluées. L’objectif étant, d’une part, de répondre au besoin de « reconversion massive » des salariés et plus généralement, des actifs (redirection d’une partie des financements du PIC vers de nouvelles populations ; prestations d’accompagnement et de retour à l’emploi accessibles via le CPF, en cas de reconversion ou de rupture conventionnelle et à titre provisoire éventuellement), d’autre part, d’épouser de manière beaucoup plus réactive la réalité du marché du travail (certifications). D’autres experts, comme le consultant en formation Jean-Pierre Willems [5], interrogent les politiques de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Alors que les facteurs d’incertitude et de volatilité se multiplient, peut-on réellement anticiper les futurs besoins en compétences ? Ne vaudrait-il pas mieux privilégier la réactivité, et une gestion régionale, via « des négociations inter ou multi-professionnelles décentralisées » ? La réflexion dépasse le cadre de ce séminaire. Ainsi, le cofondateur et directeur associé du cabinet conseil C-Campus[6], Marc Dennery, invite les organismes de formation, et les entreprises par la voix des responsables formation, à élaborer une nouvelle stratégie de développement des compétences. Une démarche qui commence par le questionnement et la définition d’une ambition partagée : comment apprendra-t-on demain ? Quels seront les besoins en compétences ? Quel accompagnement humain et digital faudra-t-il prodiguer ? La sélection des « bons » indicateurs et un audit de la situation de départ semblent indispensables pour bâtir ladite stratégie. Alors seulement, une feuille de route pourra être proposée. Pour les entreprises il s’agira notamment de mobiliser les managers afin de les rendre acteurs d’une démarche apprenante au sein de leurs équipes – et pour eux-mêmes. Marc Dennery enjoint également à développer les « réseaux de formateurs internes et de tuteurs (…), à élaborer un tableau de bord formation [tout en revisitant] l’évaluation [de celle-ci], à déployer les nouvelles modalités de l’AFEST et/ou de la formation à distance ».   Quels dispositifs de développement des compétences le système de formation professionnelle va-t-il privilégier ? Quelles innovations technologiques ou pédagogiques ses acteurs mettront-ils en œuvre, rapidement ? Réussiront-ils à surfer sur de probables restrictions budgétaires dans les entreprises ? Autant de réponses que nul ne peut anticiper à ce stade. C’est pourtant cette mosaïque de « solutions » – dans un esprit de Low Touch Learning – qui permettra aux actifs français et en partie à l’économie nationale, de relever les défis qui leur font d’ores et déjà face.  Le Low Touch Learning est un concept créé par Fabrice Mauléon.  

[1] Titre complet : Soft skills, Développez vos compétences comportementales, un enjeu pour votre carrière, coécrit avec Julien Bouret et Jérôme Hoarau (éditions Dunod).
[2] Formule extraite de la plateforme de marque CSP docendi.
[3] Des populations issues de secteurs d’activités ayant déjà opéré des coupes franches dans leurs effectifs.
[4] Bertrand Martinot est directeur du conseil en formation et développement des compétences de Siaci Saint Honoré (courtage, conseil, gestion et formation en assurances). Délégué général à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) de 2008 à 2012, cet économiste est spécialiste de l’emploi et de la formation. On lui doit plusieurs rapports sur ces thématiques pour l’Institut Montaigne.
[5] Consultant indépendant (Willems Consultant), Jean-Pierre Willems est également chargé d’enseignement en Politiques, Droit et Pratiques de Formation à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
[6] C-Campus est un cabinet conseil en formation professionnelle et coaching, spécialiste de l’AFEST, de l’animation et de la professionnalisation des réseaux de formateurs, et de la transformation des pratiques de formation.

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