Quand cultiver sa capacité d’étonnement permet de mieux apprendre

Publié le - Mise à jour le

Retour aux actualités

Ne se souvient-on pas toujours mieux d’une chose – fait, rencontre, propos, œuvre… – qui nous a étonnés ? La philosophie, qui s’appuie sur une démarche de questionnement, a souvent fait appel à la notion d’étonnement. Que peut apporter cette dernière au processus d’apprentissage ? De quelles façons peut-on, concrètement, cultiver sa capacité d’étonnement dans le contexte professionnel, et ainsi mieux apprendre ? Éléments de réponse.

La notion d’étonnement, essentielle pour les philosophes

Dans un bref mais dense ouvrage consacré aux liens entre étonnement et apprentissage (De l’étonnement à l’apprentissage, chez Deboeck), Joris Thievenaz aborde le rôle joué par la notion d’étonnement dans la philosophie. Selon l’auteur, l’étonnement constitue à la fois l’origine et la condition de toute démarche philosophique. Convoquant les grands philosophes, il rappelle que, pour Socrate,  le « principe consistant à s’étonner pour réinterroger le monde » est « l’essentielle qualité du philosophe ». Pour Bergson, l’étonnement représente cette « étincelle qui provoque l’explosion de la poudre et agit par déclenchement » du processus de connaissance. D’après Kant, « l’étonnement est un choc de l’esprit qui procède de l’incompatibilité d’une représentation, ainsi que de la règle qu’elle donne, avec les principes qui se trouvent déjà dans l’esprit comme fondements ; et celui-ci suscite un doute : a-t-on bien vu ? A-t-on bien jugé ? ». À travers son évocation des philosophes classiques, l’auteur démontre que l’étonnement est bien une « force motrice » de la démarche de connaissance. Mais comment, concrètement, cultiver sa capacité d’étonnement pour en tirer parti dans un contexte d’apprentissage ?  

Apprendre à poser les bonnes questions pour s’étonner

Chimiste puis mathématicien avant de rejoindre le monde de l’entreprise, Frédéric Falisse a rapidement perçu l’importance du questionnement dans les progrès de la science. Aujourd’hui spécialiste du développement des potentiels en entreprise, il a mis au point la questiologie, une méthodologie destinée à « poser la bonne question au bon moment ». Selon lui, nous ne posons en entreprise que 15% des questions qu’il serait possible de poser. Explication : nous posons ces questions pour avoir confirmation de notre propre perception d’une situation. Se référant lui aussi à Socrate, qui posait des questions pour éduquer, Frédéric Falisse propose d’apprendre à poser les questions dont les réponses ne sont pas attendues afin de multiplier les opportunités de s’étonner, et donc d’innover. Au cours de ses conférences, il relate volontiers une anecdote à propos d’Einstein. Le célèbre physicien a dit un jour que, s’il disposait d’une heure pour résoudre un problème dont sa vie dépendait, il passerait 55 minutes à chercher la meilleure question à se poser ; puis que, l’ayant trouvée, il lui suffirait de 5 minutes seulement pour trouver la bonne réponse. Ce qui a fait le génie des recherches d’Einstein relève donc davantage de la mise en question que de la mise en réponses. De fait, s’il n’avait fait que se poser la question traditionnelle du « pourquoi » au cours de ses recherches – par exemple, pourquoi les mouvements célestes ne sont pas expliqués par les théories actuelles ? – il n’aurait pas fait progresser la physique. On peut imaginer qu’il s’est posé une question socratienne : quelle hypothèse fait-on dans les théories actuelles pour expliquer les mouvements célestes ? Révolutionnaire, il a proposé de changer les hypothèses, et émis celle que l’espace et le temps ne soient pas constants. Il a, ce faisant, apporté des innovations incroyables au monde de la physique. Selon son promoteur, la questiologie propose plusieurs façons de faire varier les questions :

  • proposer à la personne que l’on questionne, via une certaine formulation, d’adopter une posture (observateur, acteur…) ;
  • l’inviter à un « geste mental » spécifique ; lui demander d’analyser ou de résumer n’activera pas les mêmes zones du cerveau chez le questionné.

Mieux apprendre, c’est aussi une question de questions !  

Le pouvoir de l’ignorance

De son côté, la doctorante en chimie et entrepreneure Aude Nyadanu met en lumière l’intérêt de disposer de regards neufs et « candides » pour améliorer le fonctionnement des organisations. Organisatrice des hackathons santé Lowpital, Aude Nyadanu s’efforce, via ces événements centrés sur l’expérience utilisateur, d’améliorer le quotidien à l’hôpital en faisant émerger des innovations « low tech ». Sa méthode pour y parvenir est née de son expérience de l’accueil de lycéennes dans son laboratoire. Venues découvrir le métier de chercheur, ces dernières lui posaient de très nombreuses questions, sans aucun filtre puisque ignorant tout de son travail. Aude Nyadanu a réalisé que ces jeunes filles, ne sachant pas « comment on fait », n’étaient pas entravées par le savoir qui finit par agir comme une sorte de frontière délimitant le champ de l’imagination. Ayant observé que les idées les plus disruptives proviennent des personnes les moins expérimentées, elle a intégré cette dimension du « pouvoir de l’ignorance » à ses Hackatons. Les participants les moins familiers de l’univers hospitalier sont donc immergés trois jours sur le terrain, où leur méconnaissance du milieu leur permet de s’étonner, de poser ces « vraies » questions que ne se posent plus les professionnels. Ne pas savoir, c’est finalement être libre d’inventer !   L’histoire de la science, mais aussi des innovations qui changent notre quotidien, abonde d’anecdotes sur des progrès qui n’auraient pas vu le jour sans le regard ou le questionnement d’un néophyte. Cultiver sa capacité d’étonnement implique de poser les bonnes questions, celles qui ouvrent le champ des possibles ; mais aussi de savoir écouter celles que posent les personnes ne connaissant rien du sujet abordé. Favoriser cette capacité d’étonnement dans les dispositifs de développement des compétences est l’un des plus sûrs moyens de faire grandir la créativité, le sens de l’innovation et l’intérêt des apprenants. 

Formations qui pourraient vous intéresser

tealium