Apprendre à apprendre : enquête sur le compétence clé du 21ème siècle

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La compétence Apprendre à apprendre devient le nouveau sésame de l’éducation et de la formation, de tout parcours professionnel et de l’inclusion sociale. Est-ce lié au nouveau statut du stagiaire, « objet à former » devenu apprenant, acteur de sa formation ? S’agit-il d’une réponse à l’accélération de l’innovation technologique ? Dans cette optique, connaître les mécanismes d’apprentissage permettrait à chacun de s’adapter rapidement et de se développer. Plongée au cœur d’une notion fondamentale.

 

Apprendre à apprendre : depuis quand ?

Dès le 19e siècle, certains inspecteurs d’académie soulignent la double ambition de l’école républicaine : donner un socle de connaissances aux élèves et « cultiver leur intelligence [pour la rendre] forte, souple, capable de réflexions et d’efforts, apte à se gouverner, à travailler, à produire d’elle-même ». Ils expriment alors clairement la prééminence du second objectif [1], apprendre à apprendre. Beaucoup plus près de nous, en 2006, apprendre à apprendre figure parmi les huit compétences clés faisant l’objet d’une recommandation du Parlement européen et du Conseil. En 2015, le décret fixant le Socle commun de connaissances, de compétences et de culture, à l’initiative du Conseil Supérieur des Programmes, est publié au Bulletin Officiel. Faisant partie des grands enjeux de formation, apprendre à apprendre [2] y est formalisé en ces termes : « Les méthodes et outils pour apprendre. »  

Une méta-compétence, le fait d'apprendre à apprendre ?

Une fois le contexte général précisé, reste à comprendre en quoi consiste apprendre à apprendre. Selon Stanislas Dehaene, professeur au Collège de France et président du Conseil scientifique de l’Education Nationale [3], on parle ici de métacognition. « Se comprendre soi-même, comprendre comment l’on apprend et maîtriser les stratégies d’apprentissage. » Concrètement, comment l’envie et la capacité d’organiser et de développer son propre apprentissage, individuellement ou collectivement, peut-elle naître ? Une subtile combinaison d’aptitudes, d’attitudes et de connaissances entre en jeu. Citons :

  • Les capacités de communication orale, écrite et multimédia, celles d’organisation, d’engagement, de concentration, la réflexion critique -> aptitudes ;
  • La faculté de coopération, la sociabilité, la confiance dans ses opportunités de réussite, un état d’esprit positif, la motivation, l’hygiène de vie -> attitudes ;
  • L’identification de son profil d’apprenant et de son potentiel (sachant que le cerveau de chacun apprend de la même manière, même si les habitudes de travail varient, et que le plus efficace en termes d’apprentissage est de recourir à tous les sens) -> connaissances déclaratives, procédurales et conditionnelles [4].

Dès lors, apprendre à apprendre apparaît comme une méta-compétence, transversale, qui comporte une dimension émotionnelle, une dimension comportementale et une dimension cognitive ; elle relève directement des soft skills.  

Le processus d'apprentissage vu sous l'angle neurosciences

Chaque être humain dispose de capacités cérébrales lui permettant d’apprendre. Toutefois, « certains comportements vont faciliter l’apprentissage et d’autres, l’entraver », explique le Dr Bernard Anselem [5], médecin spécialiste de l’imagerie médicale et de la neuropsychologie, chargé d’enseignement à l’université Savoie Mont Blanc. Les neurosciences mettent en évidence le fait que le cerveau se muscle : « l’information est traitée par le biais de phénomènes électrochimiques entre neurones dans une zone de connexion nommée les synapses. Celles-ci vont fonctionner d’autant plus vite – et mieux – que nous les stimulons, d’où l’importance des stratégies d’apprentissage que nous utilisons ». Ces stratégies sont basées sur les 4 piliers de l’apprentissage décrits par Stanislas Dehaene dans son ouvrage Apprendre ! Les talents du cerveau, le défi des machines.

  • L’attention est indispensable.

Il s’agit d’une orientation volontaire de notre esprit sur un point particulier nécessitant de mobiliser la concentration. Cela implique une notion d’effort nécessairement soutenu par une forte motivation.

  • L’engagement actif assure le « mouvement » du cerveau.

Pour bien apprendre, le cerveau doit en effet réajuster ses modèles mentaux. L’apprenant assimile de nouvelles notions en les reformulant en mots ou en pensées qui font sens pour lui selon Stanislas Dehaene.

  • L’apprentissage s’effectue par essai/erreur.

La mise en pratique met en avant d’éventuelles erreurs ou insuffisances de compréhension. Des allers/retours entre la mémoire et l’action sont indispensables pour affiner l’apprentissage et le réajuster si nécessaire.

  • Sans consolidation, il n’y a pas d’acquisition durable.

Pour changer une pratique, il ne suffit pas de le vouloir. « Il est important de mettre en œuvre la nouvelle posture au moment où on l’apprend, puis de programmer des répétitions régulières, par espacement croissant, pour ancrer la trace mémorielle. Les réseaux neuronaux pilotant l’ancienne pratique sont en effet très solides car ils ont été générés et renforcés de nombreuses fois ». L’apprentissage est également lié à la charge émotionnelle. Depuis l’origine, l’émotion a constitué un signal d’alerte relatif au danger ou aux ressources à traiter en priorité. Cela explique qu’une information émotionnelle soit mieux assimilée que toute autre.  

Pour apprendre à apprendre : mieux se connaître et procéder par liens

S’il est important de prendre conscience des processus cognitifs, cela ne permet pas en soi de se positionner en termes d’aptitudes, d’attitudes et de connaissances. Le Greta du Velay a réalisé un guide remarquable [6] en reliant le référentiel de l’apprendre à apprendre proposé par l’Education Nationale à des objectifs opérationnels. Deux exemples :

  • Commet se traduit le sens de l’initiative au service de l’apprentissage ?

Concrètement, cela nécessite une démarche alliant curiosité, créativité et capacité de décision.

  • Que suppose la réflexion critique sur l’objet et la finalité de l’apprentissage ?

Il s’agit de faire le lien entre son parcours de formation et son projet de vie, de savoir mobiliser des ressources additionnelles à celles dispensées en formation, d’être en mesure de réaliser une synthèse à partir de données contradictoires. Sur un autre plan, les liens cognitifs et sociaux jouent un rôle clé.

  • Tout d’abord, nous apprenons grâce aux liens établis avec autrui, dès la naissance, grâce notamment aux neurones miroirs.
  • Le cerveau apprenant procède par associations d’idées, en reliant l’inconnu au connu.

Dès lors, les expériences de l’apprenant lorsqu’il arrive en formation sont extrêmement importantes pour ses acquisitions futures. Le climat dans lequel se déroule l’apprentissage va également agir favorablement s’il se caractérise par la confiance. Plus l’apprenant se sent soutenu et valorisé, plus il s’ouvre à la nouveauté et au partage d’informations, qu’il va pratiquer lui-même ; cela facilite l’ancrage des nouvelles acquisitions.  

Quand les biais cognitifs confortent la nécessité d'être accompagné pour apprendre à apprendre

Si l’objectif est de devenir de plus en plus autonome dans ses apprentissages et dans le choix de ceux-ci, il serait utopique de prétendre que l’on peut y parvenir seul. Au-delà de la méthodologie déjà évoquée, nous sommes tous en proie à des biais cognitifs dans le traitement de l’information. L’un des plus connus est l’effet rebond (back fire effect) : des personnes ayant par exemple adhéré au discours d’un parti politique éludent des arguments étayés prouvant que ce discours repose sur certaines falsifications. Se sentant remises en cause, elles cherchent à se « défendre » et à défendre le collectif dont elles font partie. Dès lors, comment se positionner objectivement quant à son potentiel ou à ses besoins de formation ? L’accompagnement ou la facilitation apparaissent clés. Pour le formateur, il s’agit d’aider l’apprenant à préciser ses attentes en termes de formation ainsi que ses besoins – ce dernier étant généralement focalisé sur la situation actuelle et non sur les moyens à engager pour la faire évoluer. L’apprenant pourra ainsi se positionner en fonction d’objectifs à atteindre, en partant de ses acquis. Dans une approche plus collective, le directeur du Centre de recherches interdisciplinaires (CRI) de Paris, François Taddéi, a formulé plusieurs recommandations destinées à développer une véritable société de l’apprenance (récurrente et adaptative), dans un rapport remis courant 2017 au gouvernement. Il insiste notamment sur l’importance :

  • de favoriser l’expérimentation de démarches apprenantes pour recueillir des données, les partager et les évaluer ;
  • de créer un carnet de l’apprenant (sur le modèle du carnet de santé) afin de documenter les apprentissages et de permettre à chacun de s’orienter, de rencontrer ses pairs et des mentors.

Ces accompagnements engageant les pouvoirs publics, les organismes de formation, les entreprises et la société tout entière, devraient permettre à l’ensemble des actifs d’être en mesure de faire face au défi du renouvellement des compétences.   En termes d’apprentissages, chacun d’entre nous dispose d’une gamme variée d’atouts. Encore faut-il pouvoir s’en saisir ! La compétence Apprendre à apprendre agit à cet égard comme un engrais qui aide les aptitudes et les savoirs de chacun à grandir, au service d’un projet [7]. Comme l’a écrit Saint-Exupéry : pour construire un bateau le plus important n’est pas d’expliquer chaque détail à celles et ceux qui vont le fabriquer ; le plus important est de faire naître [en eux] le désir de la mer [8].  

[1] Tribune de l’historien de l’éducation Claude Lelièvre dans l’Express.
[2] La présence d’un enjeu de formation tel qu’apprendre à apprendre donne lieu à des controverses en France pour plusieurs motifs : il s’agirait d’un concept de « pédagogue », d’un idéal plus que d’une réalité pratique…
[3] Stanislas Dehaene est titulaire de la chaire de psychologie cognitive expérimentale au Collège de France et membre de l’Académie des sciences.
[4] Les connaissances déclaratives concernent ce que l’on sait de notre fonctionnement cognitif (ex : retenir facilement les données chiffrées). Les connaissances procédurales portent sur nos stratégies et méthodes de mémorisation ou d’apprentissage de prédilection. Les connaissances conditionnelles touchent notre capacité à identifier le type de situation dans lequel on peut recourir à telle ou telle méthode.
[5] Le Dr Bernard Anselem est l’auteur de Ces émotions qui nous dirigent aux éditions Alpen et de Je rumine tu rumines nous ruminons – En finir avec ces pensées qui tournent en boucle aux éditons Eyrolles.
[6] Dans le cadre de l’action transnationale 2A2 « Apprendre à apprendre : l’accès à l’autonomie », soutenue par le Fonds social européen et coordonnée par le Greta du Velay en partenariat avec l’Aformac en Limousin et Midi-Pyrénées ainsi que le Cesep en Belgique.
[7] Le projet d’apprendre peut être  au service d’un projet de carrière, de performance, de vie, etc.
[8] Antoine de Saint-Exupéry, Citadelle. Citation extraite de Apprendre au XXIe siècle de François Taddéi, éditions Calmann-Levy.

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